Ses voiles zébrées fascinent les plongeurs lorsqu’il évolue avec grâce entre les récifs. Mais il ne faut pas se fier à sa mine délicate : le poisson-lion prolifère et, sur son passage, il dévore tout. Requins, robots et même chefs cuistots sont mis à contribution pour lutter contre ce fléau, l’un des plus redoutables de l’histoire du monde marin. Extraits de l’article de SÉBASTIEN DESURMONT Publié le 13/08/2021 sur GEO.
Le poisson lion
Appelé aussi Rascasse volante (Pterois volitans) est une espèce de poissons très venimeux de la famille des Scorpaenidae. Il ne faut pas confondre ce poisson avec d’autres du même genre, appelés aussi des rascasses volantes : la Rascasse volante de l’Océan indien (Pterois miles) et Pterois antennata. Il mesure de 305 à 38 cm de long6. Certains spécimens capturés dans les Caraïbes dépassaient les 40 cm. Sa coloration est variable en fonction de son habitat. Par exemple, les individus sont plus sombres, voir presque noirs dans les estuaires. Ces poissons possèdent des appendices cutanés au-dessus des yeux. Ils capturent leurs proies par aspiration.
C’est un poisson commun, migrateur, qui vit en solitaire ou en petits groupes autour des récifs marins, et est actif la nuit ou au crépuscule. La rascasse volante se nourrit principalement de poissons de moins de 15 cm en général mais également de petits crustacés et de petits mollusques. Il semblerait qu’elle devienne de plus en plus piscivore en grandissant9. Avec ses grandes nageoires pectorales elle coince sa proie dans un coin puis elle la gobe avec sa grande bouche protractile10.
Pourquoi le redoutable poisson-lion est un fléau
C’était le 23 mai 2012… Une date qu’Eric Rolland n’a jamais oubliée. Ce féru de plongée nageait à la verticale entre dix et quinze mètres de profondeur dans la spectaculaire passe à Colas, au nord-ouest de la Grande-Terre, en Guadeloupe. Des poissons-perroquets en livrée bleu irisé, des carangues argentées, des demoiselles à queue jaune passaient devant son masque. Soudain, une somptueuse créature à la crinière ondulante a éclipsé toutes les autres : un Pterois, autrement appelé rascasse volante ou encore poisson-lion. « Il se déplaçait lentement et avec grâce, suivi par d’autres spécimens de la même espèce », se souvient le plongeur. Une rencontre théoriquement impossible dans ces parages car, normalement, la bête promène ses nageoires et ses dards venimeux à des milliers de kilomètres des Antilles. Domicile officiel : les zones côtières du Pacifique Sud et d’une partie de l’océan Indien.
Là-bas, ce poisson vit en bon équilibre avec les autres, sans menacer la biodiversité. Mais ici, Pterois volitans et Pterois miles, deux espèces proches, sont des intrus, devenus synonymes de catastrophe écologique en quelques décennies. En République dominicaine, où l’animal est présent depuis 2007, on le surnomme poisson du diable. Et dans le golfe du Mexique, ce féroce carnivore apparu l’année suivante est considéré comme le rat des profondeurs, car il ravage tout sur son passage. Ce jour-là, Eric Rolland comprit que le fléau atteignait les Antilles françaises. Et qu’il serait difficile de s’en débarrasser.
Floride : enquête aux origines de l’invasion
Comment ce poisson d’une quarantaine de centimètres, réputé être un piètre nageur, a-t-il pu accomplir un tel périple, des eaux indo-pacifiques jusqu’à celles de l’Atlantique ? On a d’abord accusé le canal de Panamá. Des oeufs arrimés au ballast des navires auraient pu voyager jusqu’ici. Une hypothèse non confirmée, d’autant que l’eau du canal est douce. Fatal pour ce type de passagers. Autre piste : la destruction de l’aquarium municipal de Miami par l’ouragan Andrew, en 1992. Les six Pterois de l’établissement disparus lors de la tempête auraient-ils pu faire souche dans la baie de Biscayne, à la pointe sud de la Floride ? Pas si sûr. En épluchant la base de données de la NOAA (National Oceanic and Atmosphéric Administration), les chercheurs ont fini par retrouver des signalements du poisson réalisés par des pêcheurs dans la même zone dès…1985 ! «La piste la plus sérieuse reste celle d’aquariophiles qui auraient rejeté leurs spécimens dans la mer sans mesurer la calamité qu’ils venaient de déclencher », commente Eric Rolland qui, depuis sa découverte au large de la Guadeloupe, est devenu un expert du poisson-lion, au point de lui consacrer un livre et une page Facebook où il prodigue ses conseils pour en freiner la prolifération. Car la créature se répand comme la peste. Depuis le milieu des années 1990, elle est remontée, sans doute grâce aux courants, le long de la côte Est américaine puis a fondu sur l’archipel desBermudes dans les années 2000, avant d’envahir les Bahamas en 2004. Désormais, le désastre touche l’ensemble du golfe du Mexique et les Caraïbes.
Mais l’inquiétude ne concerne pas que les récifs. Retour en Floride, non loin du secteur où la catastrophe débuta il y a presque quarante ans. C’est là, au large de Fort Lauderdale, qu’à bord du submersible Antipodes, par cent mètres de fond, des scientifiques de l’université de l’Oregon ont fait une inquiétante découverte : des bancs entiers de poissons-lions. Rien d’étonnant, madame Pterois pond jusqu’à 2,7 millions d’oeufs par an, défendus chimiquement des attaques par un mucus répulsif. Qui plus est, «les juvéniles atteignent dès la première année leur taille adulte, avec l’appétit qui va avec», observe Michelle Johnston.
Alors, que faire ? De la Floride à la Caroline du Nord, dans les clubs de plongée et les marinas, des affiches à l’effigie du monstre sont placardées. Comme dans les westerns, elles sont barrées d’un «Wanted» en lettres majuscules. En ce dernier week-end d’avril 2021, rendez-vous est donné au coeur de l’archipel des Keys par la Reef Environmental Education Foundation qui organise son huitième Lionfish Derby. Deux jours récréatifs façon safari sous-marin. Les plongeurs, moyennant un droit d’entrée de soixante-dix dollars, ont tout le loisir de harponner les poissons-lions. A la clé, 4 000 dollars de prime à se partager entre les meilleurs. La dernière partie de chasse, en septembre, a donné lieu à 1 321 captures sur deux jours. L’association résume sa stratégie en un slogan : «Eat them to beat them !» («Mangez-les pour les combattre !»). Par chance, Attila a bon goût.